Quand Elissa rejoint l’équipage de l’Eurybie, elle n’a pas conscience des dangers qui guettent Théore à son bord. Va dès lors commencer, pour elles, un périple en mer à travers les différentes îles de l’empire.
Maksen, quant à elle, déterminée à tenir sa promesse faite à la reine Galade avant sa mort, embarque clandestinement dans le Céto qui part à la poursuite du navire de la descendante du trône des Amazones pour déjouer les plans des jumelles usurpatrices.
Reste alors Thelma sur l’île pour organiser la mutinerie face à la nouvelle régence despotique qui menace l’équilibre du peuple et réprime la Résistance.
La courtisane et la dauphine parviendront-elles à contrecarrer les desseins macabres de l’équipage corrompu ? Maksen arrivera-t-elle à rejoindre la femme qu’elle aime au plus profond de son âme ? Thelma trouvera-t-elle le soutien et les moyens nécessaires au soulèvement qui pourrait sauver le royaume ?
L'île des Amazones - Tome 2 - Part 2 : Le prix de la descendance
Sam Taylord, 2023
Catégorie : Rebel & Love
Sous-genre : Aventure
Format : ebook, ePub
Nombre de mots : 101 703
Niveau d'érotisme : soft
Univers : Amazones
Tags : périple - société inclusive - femmes - amitié - courtisanes - royauté - résistance - combattantes - marines - trahison - coup d’état - enfantement
Chapitre 1. Les graines de la discorde
Thelma, depuis l’île des Amazones
Thelma s’était rendue à la bibliothèque du monastère à l’aube afin de trouver une table, un encrier, une plume et surtout une certaine tranquillité. À cette heure-ci, le lieu sacré était encore raisonnablement calme, les spirituelles étant les seules à se lever aux aurores pour la prière du matin. Thelma avait perdu l’habitude – l’avait-elle jamais vraiment eue ? – d’écrire de longues lettres. La perspective d’en rédiger une à l’attention de sa filleule lui causait un grand effroi jusque dans la poitrine. Quand elle se confrontait au papier, elle ne parvenait plus à nier la terrible supposition de la mort de Maksen. Après tout, elle avait disparu sans un mot et il n’était pas certain qu’elle ait décidé de rejoindre le Céto. La baronne expira en se massant les tempes. Il fallait écarter, pour la énième fois, cette pensée sordide de son esprit. Elle plongea résolument le bec de sa plume dans l’encre noire.
« Maksen,
Chère Maksen,
Filleule,
Ma filleule,
Archère, »
Sans cesse, Thelma rayait et écrivait les mêmes salutations. Devait-elle être sentimentale, rancunière, inquiète ou tout ceci à la fois ? Thayssa n’avait pas accepté de l’aider à composer un pli aussi personnel. « Elle a raison », songea l’aristocrate avec dépit. Malgré tout, elle lui en voulait. La tâche qui lui incombait lui semblait impossible à réaliser. C’était d’ailleurs le motif qui l’avait fait repousser cet instant. Elle n’était pas douée concernant les effusions sentimentales. Pour autant, elle estimait d’une douce violence le fait de rédiger une lettre qui fut tout à fait dépourvue d’amour, mais peu importait les formules qu’elle finirait par choisir, il était évident que son affection se sentirait au travers des lignes. Non ?
Thelma planta rageusement sa plume dans l’encrier puis tacha son parchemin d’une grosse goutte ébène. Un juron filtra entre ses lèvres.
« Maksen,
Chère Maksen,
Filleule,
Ma filleule,
Archère, »
Thelma ratura ses premiers mots et se mouilla accidentellement le bout de l’ongle dans le liquide sombre. D’un geste exaspéré, elle saisit un tissu de coton qu’elle avait emporté, le déplia avec agacement et s’essuya la pulpe du doigt dessus. Elle resta quelques instants à contempler la tache brune qui s’étalait sur la toile.
De toute manière, elle ne pouvait pas prendre le risque d’être trop explicite dans sa lettre ; il fallait préserver les identités de toutes. Elle inspira une longue minute puis, résolue, trempa en douceur sa plume et se mit à écrire lentement et sans s’arrêter.
Lorsqu’elle eut atteint le bas de la page, elle saisit un second parchemin et le remplit au trois quarts. Avant que l’encre ne séchât sur le second papier et sans rien relire, elle empila les deux, les roula, les plia et les aplatit.
Elle fouilla dans une poche intérieure de sa veste afin de récupérer un sceau qu’elle utilisait rarement, fit couler de la cire chaude sur l’enveloppe et tamponna le plomb dans le liquide vermeil. Elle rédigea méticuleusement l’adresse de l’île des Repenties et prit un soin infini à enrouler les dernières lettres du nom de Maksen, comme si, à présent que le travail était fini, elle prenait plaisir à rester en pensée près de sa filleule pour quelques instants supplémentaires.
Enfin, elle se leva, rangea hâtivement son matériel en le déposant auprès d’une spirituelle responsable de la papeterie et qui somnolait derrière un bureau de la bibliothèque. Seul son cachet de cire personnel fut de nouveau dissimulé dans sa poche.
La baronne quitta l’endroit le pas plus léger. Elle pinçait entre ses doigts le fruit de son labeur qu’elle glissa dans le casier prévu aux postes. Les rides entre ses yeux se lissèrent. Alors, elle se dépêcha de sortir du monastère avant les premiers rendez-vous du jour qui ne tarderaient plus. C’en était fini ! Elle ne songerait plus à cette maudite lettre !
Elle évacua dans le même temps la pointe de culpabilité qu’elle ressentait à l’idée de ne pas avoir rendu visite à la vidame et de ne pas avoir pris de nouvelles de la duchesse. L’image d’Aliénor agonisante sur sa couche lui était tout simplement insupportable.
À présent que la mutinerie était amorcée, elle voulait placer toute son énergie dans la bataille. Elle était revigorée par un nouveau souffle depuis qu’elle était rentrée du duché du Trafic avec Onara. L’odeur du combat, de l’affrontement et du sang l’exaltait. Celle des cadavres en putréfaction lui mettait la rage au cœur, tout comme la vision des corps qui s’amoncelaient à côté de la guillotine, brillante sous un soleil pâle de début d’automne, chargeant l’atmosphère de senteurs terrifiantes. L’esprit de vengeance rayonnait chaque jour plus intensément en elle. Plus la contre-attaque se préparait, moins la peur rongeait son ventre. Une mauvaise colère la gagnait peu à peu, tandis qu’elle œuvrait dans l’ombre.
Cependant, le temps pressait. Il fallait d’urgence connaître l’avis de la duchesse du Trafic, Ogrönne. Serait-elle, oui ou non, du côté des mutines ? La comtesse Marcella avait officiellement accepté de se rendre chez elle dans l’idée de la convaincre, mais elle voulait être escortée. Et Cassandra n’avait pas hésité à proposer une aide bien étonnante…
— La Résistance ? avait répété, interloquée, Thelma.
Le regard de la marquise s’était fait glacial.
— Oui.
Et elle avait répété :
— La Résistance.
La baronne n’avait pas estimé nécessaire de demander comment Cassandra comptait s’y prendre pour joindre ce contre-pouvoir secret. Elle devait sans doute y connaître une ou deux femmes dans l’ombre. Après tout, les nobles obtenaient toutes leurs ressources auprès du peuple – à l’instar de Thelma, qui puisait sans vergogne parmi le réseau de courtisanes et de Phœnix.
Si l’idée de s’associer à la Résistance avait pu lui paraître insoutenable quelques mois plus tôt, Thelma concédait à présent qu’elle avait un intérêt grandissant la concernant. Le nombre de mortes dans leurs rangs avait peu à peu adouci son opinion. Elle apprenait chaque jour que telle ou telle Amazone de confiance, qui l’avait servie, avec laquelle elle avait plaisir à partager un moment ou à proposer une besogne contre quelques sous, avait été enlevée de chez elle, était portée disparue, torturée peut-être. Et on la retrouvait, une semaine, un mois plus tard, la tête disloquée du corps, roulant sur les pavés de la place royale – ou plutôt la place « sanglante » comme l’avaient rebaptisée les petites gens du peuple effrayé.
Le second élément qui forçait la curiosité de la baronne était l’attrait croissant que montrait la marquise pour ce réseau. Par deux fois au moins, Cassandra avait évoqué l’idée de faire appel à lui : non seulement afin d’obtenir de menues informations, mais aussi pour connaître l’endroit où les mèches de la mutinerie prendraient le mieux feu. D’abord frileuse, Thelma n’avait pu qu’admettre l’efficacité du contre-pouvoir : tous les jours il apportait des rapports précis et utiles sur l’état des différents duchés. Les conclusions en étaient terrifiantes.
Il était de plus en plus évident que le duché de la Torture – autant ses travailleuses que ses nobles – se ralliait aux jumelles royales. À l’inverse, le duché de la Mort restait le plus farouchement opposé et c’était de là que provenait la majorité de la chair à guillotine.