Après avoir bravé les caprices de l’océan, les territoires hostiles et vu leurs amies tomber les unes après les autres face à des peuples impitoyables et dangereux, l’équipage du Céto rejoint enfin sa dauphine sur l’île des Centaures. Les retrouvailles, bien qu’émouvantes, laissent place à la surprise de découvrir Théore et Elissa enceintes. C’est grâce au soutien inespéré de leur plus vieil ennemi, le roi Isarne, qu’elles réussiront à reprendre le chemin de leur terre. S’annonce alors le retour tant attendu de l’héritière par Thelma et les mutines qui se préparent depuis des semaines à la guerre civile contre les partisanes des jumelles usurpatrices.
La dauphine parviendra-t-elle à récupérer sa couronne et rétablir un royaume fort, uni et surtout plus juste ? Thelma verra-t-elle ses sœurs d’armes tomber sur le champ de bataille ? Les enfants à naître pourront-ils survivre au voyage ou encore à la loi implacable du Canoune ? Maksen obtiendra-t-elle les réponses aux questions qui l’obsèdent sur son passé sans perdre définitivement la femme qu’elle aime ?
Les Amazones arriveront-elles à se relever, à pardonner et à se reconstruire ?
L'île des Amazones - Tome 3 - Part 1 : La sagesse de la rose
Sam Taylord, 2024
Catégorie : Rebel & Love
Sous-genre : Aventure
Format : ebook, ePub
Nombre de mots : 87 261
Niveau d'érotisme : soft
Univers : Amazones
Tags : guerre civile - société inclusive - femmes - amitié - courtisanes - royauté - périple - combattantes - marines - trahison - héritière
Chapitre 1. La colombe au crépuscule
Maksen
Le sang dégageait une odeur singulière sur les lèvres de Maksen. Le liquide vermeil alourdissait ses grandes mèches sombres et les pointes gouttaient sur ses joues. Ses mains, glacées malgré la chaleur de la nuit et agrippées au manche de la rame poisseuse, fendaient l’air pour que la barque avançât. Sans laisser une seule pensée se forger dans son esprit, elle plongeait la pale en bois dans les eaux ténébreuses. De ses yeux perçants verts, elle fixait l’île des Amazones qui se dessinait entre les ombres. Tout était calme alentour. L’effroi muet qui agitait ses entrailles semblait s’être tapi au fond de son cœur et elle maintenait sa bouche close, n’osant pas même respirer, continuant inlassablement à faire danser ses pagaies à la surface.
L’île était plongée dans le silence. La lisière de la forêt d’Orcéliane, grouillant habituellement de créatures nocturnes, se taisait. Seul le souvenir des actes terribles qu’elle venait de commettre gémissait encore comme un agonisant dans son esprit. Les cris des femmes paraissaient sourdre des flots, inonder l’océan, envahir le bois.
Au sein de l’espace réduit de l’embarcation, il y avait à peine la place pour se tenir sur les genoux, les jambes écartées afin d’éviter de tanguer de droite à gauche. Maksen s’éloigna de la forêt, comme si les lampions chancelants de l’Auberge des Pêcheuses, à la frontière, pouvaient illuminer ses fautes. Elle se dirigea vers le sud de l’île pour amarrer le navire.
Bientôt, elle rangea dans le fond de la barque sa rame et se laissa entraîner par les vaguelettes sur les derniers mètres qui la séparaient de l’ancien port. Elle jeta un rapide coup d’œil à la crique dans laquelle elle avait eu plaisir à se baigner dix-huit mois auparavant pendant ses séances d’apnée. Un rictus enlaidit son visage ; ce temps-là lui revenait en mémoire comme une époque bien innocente désormais.
Elle allait bientôt poser le pied sur l’île qu’elle avait appelée de ses vœux – ce qu’il y avait de plus proche d’un « chez elle » – et pourtant, le relief ombrageux de l’ancien port lui apparaissait comme dénué d’âme. L’incendie de son foyer ne l’aurait pas laissée davantage mortifiée.
Elle observa le petit paquet de linge qui demeurait immobile entre ses cuisses. À l’intérieur, un nourrisson sommeillait paisiblement. Le visage de Daenariane paraissait si éloigné des préoccupations de Maksen à cette heure… Cependant, l’innommable avait été commis en son nom. La sérénité de l’enfant se révélait être une récompense bien coûteuse.
Elle se pencha un peu plus sur la fillette endormie et admira le duvet lisse et soyeux de sa peau d’ébène – à peine plus claire que celle de sa mère. Ses minuscules cils étaient déjà très noirs et recourbés. Ses yeux, en dessous des paupières closes, étaient d’un bleu sombre et captivant. La petite dauphine promettait d’avoir un caractère vif et curieux. Après deux semaines à vivre, ses iris commençaient à percevoir le réel et elle s’y accrochait, mue par une irrésistible envie de posséder le monde auquel elle pouvait prétendre.
Daenariane remua faiblement et ses lèvres marron s’écartèrent dans un bâillement sourd, qui ne la réveilla pas. Maksen approcha le bout de son doigt pour caresser la joue ronde ; une goutte de sang vint s’écraser sur le front du bébé. La tâche impure glaça les entrailles de l’archère. Alors, elle voulut retirer la trace ombrageuse, mais ses mains poisseuses ne firent que l’aggraver. Elle se résolut à laisser l’enfant dormir, en portant sur le visage la marque d’un baptême sanguinaire. Elle serait reine après tout, reine des Amazones – ce peuple belliqueux. L’écho lointain d’un hululement de hibou interrompit les soupirs de la marine. Le nez de la nacelle cogna enfin le long du vieux ponton. Alors, elle attrapa le pan de l’épaisse couverture dans le fond de la barque et le souleva. — Rebetcha, murmura-t-elle. Et elle signa à la jeune fille qu’elle était dorénavant autorisée à sortir de sa cachette et respirer à l’air libre. L’ancienne esclave dévoila son visage. Elle gardait le regard farouche de celle qu’on a embarquée pour la deuxième fois de force. La courtisane Elissa s’était chargée de son premier enregistrement à bord de l’Evadnée. La lorette avait brossé à Maksen le récit d’une vie de misère que la servante avait partagée jusque-là avec un frère désespéré de ne pouvoir la protéger davantage. Elle, au moins, ne devait pas mourir, s’était juré Maksen, avant de la dissimuler dans sa barque.
Elle n’avait su exactement ce qui l’avait attendrie chez l’adolescente. Une forme d’indocilité dans les gestes de la jeune fille l’avait peut-être touchée, ou bien la marque d’un esprit vif, malgré la surdité, qui paraissait percevoir les mensonges des adultes et qui ne l’aurait jamais laissée en paix si Maksen l’avait tuée.
Elle mit pied à terre avec l’intention de prendre la direction des Garçonnières, en contournant la cohue prochaine du port. La perspective d’être arrivée sur l’île ne la soulageait en rien ; elle sentait le poids des responsabilités qui lui incombaient. Jamais elle n’aurait imaginé que son retour se ferait sous de tels auspices.
Tandis qu’elle marchait sur le ponton branlant pour rejoindre la plage déserte, elle portait dans ses bras le petit corps endormi de la future héritière. Dans son dos, elle percevait la respiration saccadée de Rebetcha, qui – elle le savait – ne la quittait pas des yeux, se demandant sans doute pourquoi celle qui était chargée de la protéger était couverte de sang frais.
Maksen se retournait à intervalles réguliers, vérifiant que la jeunette ne chercherait pas à s’enfuir bêtement dans une île où le danger était partout et où elle ne connaissait personne. Elle observait son air tendu, ses sourcils resserrés par la crainte, ses bras croisés sous sa poitrine. Elle devait avoir quatorze ou quinze ans. Ses traits étaient émaciés, elle se tenait courbée sur elle-même, comme pour faire un rempart de ses frêles épaules et son menton tremblait sous l’effet de l’angoisse.